
Ce condamné, c'est nous. C'est personne, et en même temps tout le monde. Hugo sait saisir le lecteur par les sentiments. Il confère à cette ombre de mouroir une stature universelle autant que majestueuse. Trépidant, passionnant, exaltant, ces paroles sont pourtant l'écho d'un marasme de derniers jours vécus isolés au sein de la prison du Bicêtre, où le néant rythme les secondes qui se dénombrent comme de longues plaies dessinées dans la chair de ce meurtrier dévoré par son esprit. La réclusion, ses souvenirs, sa fille, ses actes réprimés sont outrepassés par la perspective de la potence. La guillotine comme idée fixe, monstrueuse invention dont la barbarie n'a d'égale que l'inhumanité de ces murs glaciaux auxquels se frotte le patient en proie à l'attente. Au pilori, il sera convié, à la vindicte populaire, il sera livré. Seul, il demeurera rivé sur son passé qui ne connaîtra pas de lendemain. Et pourtant, il aimerait tant se raccrocher aux dernières bribes de la vie qui
s'effritent. Fuir, fuir, fuir, toujours, l'inconnu que l'on sait déjà inique, sous le Verbe d'un
Hugo dont la portée est telle qu'il emporte l'adhésion de tout un chacun. C'est parce qu'il s'efface, se fait neutre devant un geôlier de passage avec lequel il fait corps que la sinistre magie d'un ineffable réel s'opère. Les âmes passent d'une rive à l'autre, successivement, non pas sans que chacune en soit consciente, et s'afflige de ce manque de considération de l'individu. Tous marchandises livrées à un sort funeste, elles sont expédiées sans attache vers un au-delà dont personne n'a décidément déféré de l'utilité profonde. Parce qu'il s'agit avant tout d'un spectacle, la superficialité est Reine, aux côtés d'un Roi qui prononce une sentence irrévocable dont une même chair, pas davantage et pas moins noble, aura à subir les affronts pour assumer la convenance des conventions. Dans un même jeu, une même place, une même scène, un même acte, une même pièce : le théâtre d'une vie entière dont le condamné n'aura guère l'occasion d'embrasser dans sa globalité tant on lui a arraché les derniers consolants espoirs d'un repos que la dignité de tout homme appelle à corps et à cris.
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