Pollock (Ed Harris)

Il est toujours plutôt délicat de cracher dans la soupe d'une réalisation cinématographique sous égide biographique. Retranscrire ce qu'a été la vie d'un homme sans se fourvoyer sur ses intentions première de vérité est à l'évidence, et ce pour tout réalisateur, loin d'être une mince affaire.

Difficile également pour le spectateur de se prendre au jeu d'un théâtre existentiel résumé dans ses grandes lignes en presque deux heures de film. Encore plus difficile d'accorder toute sa créance à un Jackson Pollock aux atours premiers de gros béta hypersensible, type achevé de l'artiste autiste à mille lieues de la vie réelle. Alors interviennent, dans ce processus logique de transmission d'une émotion du réalisateur au spectateur une certaine moue dubitative et des questions en pagaille : Ed Harris retranscrit-il correctement la véritable personnalité de Pollock ? A-t-il voulu l'humaniser, l'affaiblir, forcer ses traits pour accroître la tension dramatique ? A-t-il trop romancé une vie qui n'a peut-être pas été à ce point rocambolesque ?

Drôles d'interrogations qui rebondissent sur un manque personnel de connaissances à ce sujet ; mais également sur le principe éhonté du téléphone arabe. Adapté d'une biographie intitulée Jackson Pollock : An American Saga, le film reproduit un tri sélectif nécessaire, car il paraît tout bonnement impossible de rapporter une vie dans son intégralité. Cette partialité, filtrant les événements de toute une vie, a donc été réinterprétée par le truchement du septième Art, pour exacerber les émotions troubles d'un Artiste Peintre torturé. Aboutit alors une synthèse de l'édulcoration, qui soulève une interrogation bien plus cruciale et non pas spécifique à ce film mais à tout récit de vie.

Toutefois, si l'on occulte ce fait, Ed Harris porte à la fois vigoureusement le rôle d'acteur et réalisateur sur ses larges épaules pour fabuleusement rendre hommage à un artiste qui semble l'avoir considérablement influencé, et ce dès sa plus tendre enfance. En effet, dédié à la mémoire de ses parents, l'oeuvre est incontestablement fondue dans le moule inextricable de la culture. Fourmillant de références musicales, du Blues au classique en passant par le Jazz, cette convergence des Arts en tout genre initie le spectateur à un ravissement des sens permanents. L'on ne s'ennuie alors pas une seconde, car Ed Harris parvient à conférer une épaisseur manifeste à son personnage pour susciter l'intérêt double du spectateur néophyte : connaître le (tragique) aboutissement du film ET par conséquent apprendre (davantage) de la vie de Jackson Pollock.

Qui plus est, le tout est filmé avec une minutie et un respect de la dignité humaine qui forcent le respect. Pas puritain pour autant, le film souffle une légère brise de fraicheur sur un cinéma « arty » nord-américain poussiéreux. La mise en scène, pourtant pas révolutionnaire pour un sou, a le mérite d'accrocher l'oeil, au moyen du prisme de l'objectif, qui saisit instantanément et inaltérablement la maestria et le génie d'un Peintre novateur. Sobre et efficace, elle efface ses prétentions pour laisser libre champ à l'envergure et au charisme d'un être dont la vie a été successivement traversée d'ascension et de déclin.