lundi 1 mars 2010

Qui a tué l'idiot ? (Dumontheuil)

Une folie. Une douce folie pure qui essaime le chemin pavé d'embuches du joyeux drille Lucien Lurette. Acteur à la ville, citadin en repentir, il s'enfouit dans la province profonde des premières années du 20ème siècle pour s'encanailler du malin. Au visage de taré foutraque, il est imprégné en chaque habitant du village où il se terre. Pour trouver son idée, qui devra révolutionner sa carrière, il s'ancre dans ce pays où l'immoralité est érigée en vertu et où la loufoquerie incandescente n'a jamais aussi bien revêtu son sens premier. Tous tordus, par leurs tronches renfrognées et leurs moeurs plus que débridées, dépolarisées, les villageois sont coupables d'une folie qui les enserre et perpétue le mythe du Roi sage, seul à ne pas avoir goûté l'eau du puits de la folie. Déments, ils détournent les codes habituels et font de leur vie un carnaval perpétuel. Fantasques et gaillards, ils ont un caractère et une présence à réveiller les morts. Ils donnent vie à leur village et à une BD qui base toute son intrigue sur le polar, et la fameuse question liminaire : « Qui a tué l'idiot ? ».

Une bouffonnerie exquise qui offre une énorme bouffée d'air au premier degré pour l'envoyer paître en vacances dans le vert bocage. On en respire un air pur éventé par une tramontane qui fait tourner les têtes, dont celle de notre comédien. La déraison, qui devient vertu, le touche à petit pas et l'intègre définitivement dans un univers bariolé de pépites où l'enthousiasme de Dumontheuil est plus que communicatif. Ravi, le lecteur que je suis s'est fait une joie d'épier ces tronches et ces mouvements auditoires dont le rythme et leur cohorte de péripéties renvoient tout droit aux première heures glorieuses d'un « tronc commun » de la BD : Lucky Luke. Pas étonnant qu'on y fasse allusion, et que la référence explose au visage tel un soufflet qui ne retombe pas, car ces guignols boursouflés font marauder la mort, comme le fameux croquemitaine, pour contrecarrer une fois de plus les tabous d'une société (citadine) qui elle, est bien réelle.

Bien éloignés de nos univers familiers, nous jouissons sans « remordingue » de cette caricature de la Province début de siècle, qui préfigure, dans un style foutrement plus « barré » que le remarquable film de Michael Hanneke Le Ruban Blanc, les atrocités commises durant la Première guerre mondiale. Sans foi ni loi, ces rebuts excentrés et excentriques sévissent dans un irréductible village gaulois imperméable aux évidences par définition les plus sensées. De surprise en surprise, je me suis pâmé de ces êtres gonflés de vergetures, aux gouailles braillardes et au tempérament louche, qui respirent la joie de vivre et l'unité bestiale enfouie dans une marmite Cléricale qui a elle aussi depuis belle lurette perdu le script de son rôle.


Pour tout dire, je ne m'attendais vraiment pas à être un jour autant séduit par un Casterman, mais alors, selon l'adage qui veut que tout peut arriver, il faut espérer que par la même occasion il y ait un début à tout. Excellente pioche, qui réitère des envies de réveiller mes papilles grâce à l'appétit de vie que me confère ces accouplements de vignettes en folie.




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