vendredi 19 février 2010

Persona (Ingmar Bergman)

Comment ne pas faire l'éloge d'un film qui bouscule tous les concepts cinématographiques pour s'inventer une existence en dehors du septième Art, bien plus loin que le travail d'élaboration d'une fiction spéculaire de la réalité ? Perdu aux confins de la démence, de la schize et de la mise en abyme artistique (théâtre, cinéma, peinture etc.), le script est achalandé de manière à faire s'interroger le spectateur sur ce qu'il est en train de regarder. Lorsque la « scène » d'introduction retentit, c'est une succession frénétique d'images qui éblouit le cinéphile pour le jeter dans un maelström de concepts abscons et saccadés qui font la part belle à sa dégénérescence maculaire et à l'esprit tordu qui habite l'âme du réalisateur. Artiste démiurge à peine échappé de son lit d'hôpital, il projette son vécu sur Liv Ullmann, pour en faire l'héroïne de ses fantasmes élucubratoires qui s'assagissent et se rebellent à son gré, en se plaçant à mi-chemin entre le cinéma conceptuel et la stricte oeuvre d'art abstraite qu'on ne peut interroger sans se heurter aux apories. A l'instar d'un Begotten, dont la perversité n'est plus à remettre en cause, toutefois dans un registre plus intellectuellement propret, Ingmar collectionne les plans dont l'esthétisme ravissant résulte en grande partie du choix du noir et blanc dont l'attrait principal est d'appuyer sur les contrastes entre la lumière du soleil qui cogne de sa lourde influence sur le poids des heures sombres d'une patiente nommée dont la cure en retraite du monde tourne au grand drame estival. Pas la fiction de l'été pourtant, loin de là ! Puisque le réalisateur prend un malin plaisir à glisser des non-sens, incohérences et invraisemblances en pagaille dans le jeu des répliques et de la répartition des rôles qui n'en finissent plus d'écarter le spectateur de ce qu'il croit être son chemin. Ne se limitant pas à une trame scénaristique bien épaisse et facilement compréhensible, Bergman transcende l'appareil filmique pour en faire une boîte à idées : SA boîte à idées, rompue à l'exercice de la volonté d'une boîte crânienne qui n'a pas à pâlir devant une production téméraire qui tente de jouer dans sa cour. Parce qu'il a été avant-gardiste en s'inventant une démence iconographique à laquelle les actrices - et a fortiori sa compagne, supposée dans la confidence - n'ont rien pu comprendre, il supplante indiscutablement toute la pelletée de réalisateurs qui ont voulu s'essayer à l'aune de son génie.

Comprenons donc bien qu'il s'agit d'un coup de coeur, comme il est rare d'en ressentir. Une sensation qui à peine perceptible sur l'instant mais qui s'amplifie avec le temps. Diffuse, elle n'est certainement pas le coup de foudre. Trop cérébrale, elle se décante à mesure que notre chiche intelligence débonnaire se sculpte une matière sémantique qui n'aura pas à rougir à l'évocation d'un film dont il est bien difficile d'imposer un résumé. Parce que c'est à cette grande marque d'estime qu'on reconnaît les films qui font vaciller un siècle pour contaminer les suivants, et que le mérite n'est jamais rendu à sa juste mesure puisque les lauriers semblent devoir se faner avant d'être récoltés, il faut rendre à César ce qui est à César, et ne pas gloser davantage une interprétation qui ne saurait être que toute personnelle. A Ingmar Bergman, il faut par conséquent rendre abondamment la monnaie de sa pièce (de théâtre).

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