jeudi 11 février 2010

Dälek - Gutter Tactics (Ipecac)















Dälek est noble. Parce qu'il est la figure de proue d'un courant Hip-Hop qui se renouvelle en puisant dans les racines d'une musique bruitiste, il régale l'auditeur à chaque nouvelle poche de sang frais dans les bacs. Celui-ci comble alors son avidité de sentir la douleur d'une musique qui fait corps avec la sidérurgie, les bras mécaniques qui ploient sous la masse d'un amoncellement de métaux en tous genres.

Dälek est ainsi étrangement constitué : une malformation à l'origine du mal qui a accouché d'une anomalie native d'un nouveau genre. Indispensable à la survie de son espèce, Dälek renouvelle sa caste. Du lourd.

La musique du duo originaire de Newark (New Jersey), possède cette même lourdeur. Sans commune mesure, elle rappelle avec un certain étonnement celle à la fois tortueuse et torturée du groupe bas-normand de renommée mondiale : Blut Aus Nord. Pour cela, jetez une oreille au cinquième morceau, « Street Diction », et prévoyez une refonte totale de votre écoute de The Mystical Beast Of Rebellion. BAN, bien qu'officiant dans un tout autre style, consacre par l'homophonie avec le groupe américain l'évidence même que la musique n'a décidément pas de frontière. Ne se bornant donc pas à une étiquette qui les cantonnerait à un son défini, ils mélangent les nations pour accoucher de nouvelles saveurs aigre-douces que nos papilles se font une délectation de découvrir.

Godflesh traîne même ses gros sabots du côté de « Los Macheteros », pas étonnant me direz-vous, quand on connaît l'industrialisation massive de la musique des fils du Hip-Hop Old-School. Ce qui s'apparente à un vrombissement de guitares éclate à l'orée du morceau-titre, qui n'est paradoxalement pas le plus représentatif de l'album : il dévoile un Dälek viscéralement réfractaire à l'ombre que lui porte la face jalousement lumineuse de la Lune.

L'hydre à deux têtes s'esclame donc nonchalamment en retournant les mots cent fois dans sa bouche avant de les déverser dans un flot boueux, torrentueux, impétueux, haché menu par la langue en glaise qui recoupe des sonorités universelles.

Dälek nous gratifie ni plus ni moins d'une invitation à se balader au travers de la nuit noire et éternelle qui collectionne les coupe-gorges comme les impairs que des halos de lumières colorent d'une clarté blafarde qui épouse à merveille le bras recroquevillé du marcheur qui couvre ses yeux afin d'écarter tant bien que mal la tempête luminescente. Se couvrir, et ne pas commettre d'impairs, quand les façades longilignes craquent sous les assauts sempiternels lancés par les mégaphones juchés au coin des pâtés de maison encroûtés dans le délire sommaire de l'homme éveillé lorsque ses congénères pétrissent la matière de son rêve à venir. Mais ci-présent gît son cauchemar, lorsque de ses pas alertes mais saccadés résonne la balade funèbre nommée Gutter Tactics.


Toutefois, même si le serpent trace des courbes ondulatoires mais moins sinueuses, et ne susurre plus autant de phonèmes stridents qu'au temps de l'Absence, il creuse son sillon et traîne sa nouvelle peau sous un soleil de plomb que nous subissons en parallèle. Et pourtant, il nous est vital de continuer à tendre l'oreille, parce que l'on se doute que Dälek n'a pas craché toute sa bile, et qu'après tout, il est évident que l'entité bicéphale conserve de beaux restes.


Ainsi, « Who Medgar Ever Was », boîte à musique qui développe un paysage désenchanté où carillonne la grande tour de Babel sonne le glas de l'ère industrielle. Un des morceaux les plus marquants par son ryhtme lent et un phrasé incantatoire qui enveloppent l'auditeur pendant huit bonnes minutes. Un sacré pavé dans la mare, qui rappelle par cet aspect celui de la livraison précédente, Abandonned Language.

On peut donc dire que les machines ne s'activent plus pour révéler une noirceur abyssale dès lors reléguée au passé, comme pour mieux dégager une mélancolie palpable qualifiable, par pédantisme zélé, de post-industrielle. Je ne retiendrai que le titre « 2012 » pour appuyer ce postulat, et affirmer une bonne fois pour toute que Dälek change de sphère. L'industrie ne fait définitivement plus office d'aliénation par la machine, mais contribue à l'échappatoire d'une expédition expédiée vers une planète inconnue. Un voyage astral sans retour, qui mène l'auditeur vers l'ultime phase en apesanteur nommée « Atypical Stereotype ».

En résumé, Dälek se fait plus réfléchi, moins incisif et résolument sûr de lui-même, de ses capacités et de ce qu'il a accompli au fil des albums. Le groupe planifie ses ingrédients, concentre les meilleurs et élabore cette recette gagnante : véritable synthèse à l'arôme onirique, à l'image de la pochette, qui adjoint aux couleurs les plus criardes des touches de pénombre. Une saveur ouatée que l'on mûrit longuement en bouche pour en sauver une empreinte indélébile.

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