mardi 6 décembre 2011

L'Ordre et la Morale : En désordre


Premier point le plus dérangeant, l'interprétation trop maladroite est dominée par l'école théâtrale française traditionnelle, et donne l'impression d'avoir en face de nous de vrais militaires intimidés par la caméra et qui du coup en font des tonnes.
Dans ce registre, Kassovitz n'est pas juste et contribue à rendre de nombreuses scènes qui devraient être dramatiques... comiques. Quand on sait qu'il prend les ¾ de l'écran, devoir supporter sa voix déclamant sans charisme des lignes de dialogue, au premier comme au second plan (voix-off), peut être lassant. En parlant de voix, celle de Jean-Philippe Puymartin, doubleur de Woody dans la « vraie vie », est troublante un petit laps de temps car elle en dénote un personnage autrement plus sympathique et joviale que la tonalité martiale qui incombe à un gradé.

Au rayon des déceptions, commencer par la fin en est une belle. A l'instar d'un Mesrine, le procédé grille tout le suspens et l'intensité d'une scène finale qui devrait être haletante, « in your face », caméra à l'épaule et mouvements saccadés pour reproduire les tumultes de la bataille.
Cette dernière, et quelques autres scènes qui se comptent sur les doigts d'une main, proposent beaucoup d'éléments de mise en scène intéressants qui correspondent aux « pattern » du jeu vidéo : narration introduisant le présent des narrateurs dans le passé, balles illuminées qui fusent dans les assauts...

Si le film peut avoir un minimum d'intérêt, c'est par sa dimension historique, en se faisant l'écho d'une tragédie qui n'a pas eu assez de porte-voix, et d'une lutte qui est toujours en cours en Nouvelle-Calédonie.
D'ailleurs, sa dénonciation des injustices s'inscrit dans une démarche parfois similaire à celle de Platoon, en premier lieu, et de La ligne rouge, dans une moindre mesure. La scène d'intro fait à ce titre sacrément penser à ce dernier, alors que les intrigues politiques qui meuvent l'histoire sont plus identifiables à Platoon. La différenciation des deux partis français et kanaks passe d'ailleurs par un distingo nature/culture que ne renierait pas Malick. Grosso modo, la culture française veut écraser les traditions des « gentils » kanaks.
Autre détail, les fondues au noir brutales surmontées d'un item sonore peuvent rappeler ce qu'a produit Gaspar Noé dans Seul Contre Tous. Celles-ci accompagnent le décompte des jours, au nombre de 8. Imaginez donc voir au bout de chaque « chapitre » le même écran « J-07 », « J-06 », suivi, souvent, d'une mise en contexte digne d'une série militaro-SF style Stargate avec une ligne de texte en police « top secrète », comme on peut le voir dans Splinter Cell, par exemple.

Âpre, rigide, la mise en scène sert une narration qui déploie une violence latente, parfois mise en relief par des « coups de pression » où tout le monde se met à aboyer à tue-tête, que ce soit du côté des militaires, meuglant chacun son tour, ou des kanaks, qui s'en donnent à cœur joie dans une cacophonie anarchique.
D'ailleurs, parlons-en, de l'intelligibilité. Liée à la qualité (ou plutôt à son absence) du jeu d'acteurs, elle est ruinée par une déclamation où les mots se perdent, mangés, voire gobés. Le meilleur exemple est le supérieur du personnage de Kassovitz. Les kanaks, avec leur accent caractéristique, ne rendent pas non plus la tâche facile. Heureusement, ce ne sont pas les rôles les plus importants qui doivent pâtir d'une prise de parole javanaise. Leur chef parle bien la métropole, puisqu'on nous précise bien que c'est « un homme d'esprit », après tout...
Ce n'est pas le seul renseignement inutile qu'on nous donne, de trop. Certaines répliques auraient mérité de passer à la trappe, comme le « ça sonne » de Kasso en tendant le combiné du téléphone à son ami indépendantiste ; mais ça, c'est qu'un détail, après tout... Juste que ça contribue à agacer à côté de trucs plus énervants. Un autre exemple : quel poids donner à certains rôles plus que secondaires ? Perdu dans la masse, figurant du second rôle, je me demande encore à quoi sert Augustin Legrand dans ce qui ressemble parfois à une mascarade de bons potes qui ont pactisé au détour d'une soirée.

Au final, la bofitude m'emporte, pensant que je ne peux plus compter sur Kassovitz pour obtenir ce que j'attendais de lui, un bon divertissement à la fois instructif et bien foutu.
5/10

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