Avec
le temps, je commence à être habitué aux films de Malick. Dès les
premières minutes, on reconnaît la « patte » Malick,
jusqu'à se demander s'il ne réalise pas toujours le même film. On
y retrouve donc cette fameuse voix-off si caractéristique, symbole
de l'introspection du « moi » profond qui aspire à la
transcendance.
Il
est alors logique que les flash-backs d'un soldat en compagnie de sa
femme au blond virginal, tout en voix off, fassent penser aux prières
intérieures de la Sainte (pas très) vierge de Brad Pitt dans Tree
Of Life. Si ce n'était
pas récurrent chez le réalisateur, on pourrait croire que c'est une
façon de matérialiser le réconfort que les soldats appellent de
leurs vœux quand la situation est critique. Mais non... Il faut
croire que ce gimmick fait partie des convictions profondes de
Malick.
La
comparaison avec Tree Of Life ne va néanmoins pas très loin.
Cependant, le réalisateur n'oublie pas de faire preuve d'un
spiritualisme d'enfant de six ans abonné à la catéchèse, qui
croit autant en Dieu qu'au père noël, par l'omniprésence des
pensées du héros, qui fait office de prêtre au discours sage et
solennel, perdu dans un monde de fou. Il est ni plus ni moins que le
messie des temps modernes : souriant, jovial, curieux, généreux, il
sourit à la vie alors que tout le monde lui répète qu'elle est
pourrie. En éclaireur envoyé par Dieu, il constate ce que l'homme a
fait de la beauté qui lui a été offerte. Il faut croire que c'est
un peu de l'âme du réalisateur qui est injectée au cœur de ce
rôle quasi-autobiographique... Ce type rechigne à se battre, et
comme doit faire tout réalisateur qui se respecte, contemple le
monde pour y déceler ses beautés les plus infimes dans un
capharnaüm de débris d'âmes. Certes, ça sent le roussi, mais les
effets cinématographiques chers à Malick servent ici une cause
palpable et tangible que le Tree Of Life n'explicitait pas.
Y
plane le dégoût d'une armée qui ne sert pas les intérêt d'un
pays mais celle des hommes les plus gradés, et au-dessus d'eux, des
politiciens véreux. Dans le
rôle du général, Travolta fait d'ailleurs une courte apparition,
pas regrettée du tout car il surjoue allègrement de toute son
arrogance ricaine une caricature malvenue dans un univers au premier
degré.
Le
véritable objectif de Malick est de reproduire l'écho d'hommes qui
se sont engagés pour rendre service et honneur à leur patrie, en un
acte individuel, avant de perdre leurs illusions simultanément
qu'ils sont devenus un tout collectif, comparable à de la chair à
canon interchangeable, à disposition inconditionnelle des généraux.
Le
problème c'est qu'on ne sait jamais si Malick glorifie totalement
les hommes qui se sacrifient pour une cause nationale ou s'il appelle
à une fin absolue de tout conflit. En pratique, Malick emprunte
plutôt le premier chemin. Le fait de sacraliser le sacrifice est
appuyé par une musique grandiloquente commémorative les faisant
passer pour des héros ou encore plus simplement par une mise en
scène privilégiant à outrance les affrontements avec le parti pris
du camp américain.
A ce
titre, la prise de la colline est un des moments forts du film, si ce
n'est LE moment fort. Il résume à lui seul l'euphorie empreinte de
malaise qui domine le film par petites bribes. Pour le comparer avec
un autre adepte des conflits, il est aussi lent et contemplatif qu'un
Eastwood, avec les traits d'esprit édifiants en plus.
Clairement,
La ligne rouge, comme tout film de sa catégorie, n'échappe pas aux
critères du genre en adoptant un sujet commun au ciné après la
guerre du Vietnam : la dénonciation des ravages de la guerre, pour
l'homme, mais surtout pour la Nature, très chère à Malick, qui
domine tout, et constitue un alter-ego de ce qu'on est bien vite
inspiré de nommer « Dieu ».
Malick
fait « ce rêve blanc », celui de tous les hommes
emprisonnés par la civilisation, celui de l'autre monde, fantasmé,
et pourtant qualifié de barbare peuplés d'indigènes pour ces
populations développés dont nous faisons partie. Ce monde idéal,
c'est celui où l'on respecte la Nature au point de vivre en
communion avec elle, en acceptant non seulement ce qu'elle donne,
mais aussi ce qu'elle reprend.
Mais
que serait la nature sans l'amour unissant deux êtres ? Un autre
thème cher au coeur de Malick. On y aperçoit une histoire d'amour
subreptice, lointain souvenir d'une définition de la vie, qui aide,
classiquement, à faire tenir le soldat dans les moments les plus
agités et incertains, seul repère fixe dans un univers
perpétuellement en mouvement. Preuve que le film ne manque pas
d'idées pour se diversifier, mais les exploite parfois mal, à
l'instar du rendu de l'image, générique, qui paraît aussi suranné
de nos jours que celui d'un Platoon, pour ne citer que lui.
Globalement
moins pompier et plus sombre que le dernier né, il appose un regard
en demi-teinte, animé par l'espoir mais rongé par le pessimisme
d'une humanité qui s'entredéchire. On dira donc qu'il est
d'apparence moins « niaise » que son petit-fils, pour les
plus cyniques d'entre nous.
C'est
une fresque tourmentée et intrinsèquement paradoxale, entre le
panégyrique et
le pamphlet, d'un réalisateur pris entre deux feux, celui de sa
nationalité, et celui de sa conscience, et qui embrasse la
spiritualité pour redonner un sens au monde cruel des hommes,
résolument primitif bien que civilisé.
La démarche est louable, le pari, risqué. Forcément, il sait qu'il
récoltera les coups de bâton, mais il fait ce qu'il aime :
confronter les deux mondes de la folie et de la plénitude, pour les
faire cohabiter ou fusionner.
Une
expérience du film de guerre, à la Malick, forcément différent,
et donc quelque-part intéressante. Il est à voir pour distinguer en
quoi le réalisateur se démarque des autres productions de sa
génération en proposant sa propre vision. Oui, Malick rêve d'un
autre monde, où l'amour règne en égal de Dieu, et le fait savoir.
Un hippie ? Un rasta ? Un cinéaste de l'impossible. Et bien que ces
éléments l'y indisposent, La ligne rouge peut quand même
prétendre au titre du plus beau film réalisé sur la guerre. Un
comble.
Reste
que les 2h45 seront un calvaire si on n'est ni adepte des
simili-bondieuseries sentimentales de Malick, ni de la capture
objective de la bravoure et de l'héroïsme illuminés chers à
Eastwood ou Spielberg.
Mais
qui sait... en fournissant toujours plus d'effort pour comprendre
l'illuminé, peut-être qu'un jour il sera possible de devenir
disciple de Malick, et ainsi d'entrer dans la cour fermée de ces
avant-gardistes qui se réclament de sa chapelle.
6/10

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire